Démocratie et renouveau syndical toujours d’actualité 20 ans après

Le syndicaliste Albert Faust lors d’un colloque contre l’extrême droite en 1997 à Bruxelles, avec notamment Fernand Fyon de la délégation syndicale des Forges de Clabecq. Photo : Archives personnelles M.AZ.


 

 

RETOUR DANS LE PASSÉ DES LUTTES SOCIALES EN BELGIQUE | Il y a tout juste vingt ans, ce mercredi 26 octobre 2022, des syndicalistes de combat contestèrent une répression interne opérée par la direction de la FGTB de l’époque. Pour agir, sous la poigne d’Albert Faust, ils fondèrent un Mouvement pour la démocratie syndicale. Ils étaient des camarades de « Ceux de Clabecq » du Mouvement pour le renouveau syndical. Vingt ans plus tard, avec les pratiques de deux « patrons » bruxellois du « syndicat socialiste » rien n’a changé. À l’heure où le syndicalisme est attaqué par la droite libérale conduite par Georges-Louis Bouchez avec des slogans lepénisés et la justice de classe qui a condamné 17 militants et dirigeants syndicaux liégeois, il est plus que temps de mettre fin à des méthodes liberticides internes qui ne peuvent que bénéficier aux ennemis externes de la FGTB POUR COMPRENDRE LE PRÉSENT | PAR MANUEL ABRAMOWICZ

 

C’est le samedi 26 octobre 2002 que le Mouvement pour la démocratie syndicale (MPDS) apparait officiellement à Bruxelles, après une préparation enclenchée dès le début de l’été. Son dirigeant-fondateur est Albert Faust, le charismatique secrétaire général bruxellois du Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCa) de la Fédération générale du Travail de Belgique  (FGTB). La création du MPDS est une réaction à l’éviction d’Albert Faust, à la suite de divers conflits avec la direction nationale du « syndicat socialiste » et des accusations graves portées contre la gestion financière de sa régionale bruxelloise.

 

LES VRAIES RAISONS DE SON ÉVICTION

Albert Faust est connu pour son appartenance de toujours à la gauche radicale. Ancien responsable des jeunesses communistes maoïstes dans les années 1960, il fut, après un cours passage au PS, l’un des principaux initiateurs de la réactivation du Parti communiste à Bruxelles, à la fin des années 1990. Durant sa présidence du SETCa, le syndicaliste de gauche est connu pour l’engagement de l’organisation de défense des travailleurs dans le soutien à la main d’œuvre précarisée et exploitée par le système capitaliste qui passe le plus souvent sous les radars : les jeunes des milieux populaires, les travailleurs étrangers sans-papiers, les prostituées… Le SETCa d’Albert Faust s’engage aussi dans le combat contre l’extrême droite, contre le racisme, pour l’égalité des droits des immigrés, pour ceux des femmes… 

 

Pour Albert Faust et ses partisans, trop à gauche et pas assez consensuels avec les pouvoirs (politiques et économiques), ils seront dès lors la cible d’un « règlement de compte idéologique » pour les liquider. La direction de la FGTB souhaite faire taire les contestataires présents dans ses rangs. La régionale bruxelloise déplait trop au Parti socialiste qui exerce encore une influence à l’intérieur du syndicat. La défense active prise par Albert Faust aux « 13 de Clabecq » va lui coûter chère. Les « 13 de Clabecq » sont les principaux dirigeants syndicaux FGTB des Forges de Clabecq, dont Roberto D’Orazio, Silvio Marra et Fernand Fyon, qui ont conduit, dans cette usine sidérurgique emblématique des luttes sociales, un mouvement contestataire qui a mis à mal les plans de reconversion économique voulus par la région wallonne, le patronat et les banques. Avec l’aide de la Gendarmerie royale, un dossier judiciaire sera monté pour les conduire devant les tribunaux (sur cette saga judiciaire, la suite après le sous-titre « Procès des ‘’13 de Clabecq’’ » de ce présent article). Un dossier judiciaire est également manigancé contre Faust.

 

DÉMOCRATIE SYNDICALE

C’est pour cette raison que le désormais ex-président bruxellois du SETCa décidera de passer à l’offensive pour se défendre et poursuivre le combat syndical. Albert Faust propose alors la création du Mouvement pour la démocratie syndicale (MPDS). Après une préparation durant l’été 2002, le MPDS prend rapidement forme, au cours d’un « Forum pour la démocratie syndicale » qui se déroule sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), le samedi 26 octobre 2002. Parmi les deux cents participants, la « gauche de la gauche » y fait acte de présence de façon massive. Les principales formations trotskistes, Parti ouvrier socialiste (POS, aujourd’hui Gauche anticapitaliste), le Mouvement pour une alternative socialiste (MAS, l’actuel Parti socialiste de lutte, PSL), le Parti ouvrier révolutionnaire des travailleurs (PORT)… sont là, mais aussi des membres de la gauche socialiste du PS et de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC). Seul, le Parti du Travail de Belgique (PTB) boycotte l’initiative. 

 

Plusieurs groupes de travail sont mis sur pied par le MPDS et un périodique est lancé, MPDS News. Dans son premier numéro, il est mentionné : « La démarche du MPDS commence modestement mais avec la ferme conviction que les traditions de lutte et leurs mémoires sont toujours vivantes, qu’un syndicalisme digne de ce nom reviendra perturber la paisible vie du capital et de sa mondialisation. » Au cours du premier Forum du MPDS « une grande majorité s’est exprimé contre la perspective de créer un nouveau syndicat et opte pour la création d’un pôle critique de réflexion et d’action à l’intérieur du mouvement syndical existant. » 

 

Des cellules militantes du MPDS seront actives à l’intérieur et à l’extérieur de la FGTB où la grogne sociale contre les mesures gouvernementales antisociales reste vive. Mais le 18 juillet 2004, après une longue maladie, Albert Faust décède. À son enterrement, célébré sous le culte maçonnique, pour lui rendre un dernier hommage, entre sept cents et mille personnes sont présentes. Il y a des syndicalistes, des journalistes, des professeurs d’université, des étudiants… parmi eux, affaibli par des années de lutte syndicale et sur sa chaise roulante, Georges Debunne, un ancien secrétaire général de la FGTB qui avait toujours apporté son soutien indéfectible à son camarade Albert Faust. Orphelin de son leader, le MPDS aura les plus grandes difficultés pour continuer à se développer. Mais le souvenir de Faust restera dans la mémoire de tous les authentiques syndicalistes.

 

Avant la création de ce mouvement syndical dissident de la FGTB, fondé autour d’Albert Faust, une autre initiative avait vu le jour quelques années auparavant.

 

RENOUVEAU SYNDICAL

Après le succès de foule de la Marche multicolore pour l’Emploi, plus de 70.000 manifestants rassemblés en plein hiver glacial, à Tubize le 2 février 1997, par les délégations syndicales des Forges de Clabecq, une nouvelle structure de combat est fondée : le Mouvement pour le renouveau syndical (MRS). Le MRS a pour objectif de mobiliser l’ensemble des « syndicalistes de combat » du pays. Il vise aussi – et surtout – à représenter une organisation à la base des syndicats – de la FGTB comme de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) - pour faire pression sur leurs directions. 

 

Directions jugées alors par le MRS comme n’étant pas assez combatives contre les offensives patronales et le soutien que leur apportent, d’une manière ou d’une autre, les différents gouvernements régionaux et fédéraux, composés à chaque fois du PS. La création de ce mouvement produit chez certains mentors du système capitaliste des fortes craintes. « Appuyé par le PTB maoïste, le Mouvement pour le renouveau syndical en profite pour relancer sa lutte révolutionnaire », écrit, un an après la fondation du MRS, Alain Zenner. Pour sa participation à la tentative de liquidation de « l’esprit de Clabecq », l’ex-curateur des Forges de Clabecq sera remercié par le Mouvement réformateur (MR) de Louis Michel. Zenner deviendra député régional.


Pour sa part, le MRS va très vite recevoir l’appui de l’ensemble des formations marxistes : PTB, POS, MAS, PORT, l’Unité, La Lutte… À l’occasion des élections européennes de 1999, Roberto D’Orazio leur propose le dépôt d’une liste unitaire. Elle prendra le nom de « Debout » et rassemblera plus de 46.000 voix en Wallonie et à Bruxelles (soit plus de 2 % des suffrages). Pour éviter l’élection de D’Orazio au Parlement européen – et qu’il devienne grâce à sa tribune médiatique ensuite encore plus populaire en Wallonie – le PS pousse le Parti communiste de se présenter au scrutin européen. Ce qui divisera le potentiel électif du leader des Forges de Clabecq.

 

PROCÈS DES « 13 DE CLABECQ »

Le MRS va ensuite continuer son développement dans le cadre du procès des « 13 de Clabecq », avec un large « Front de mobilisation pour [leur] acquittement ». Avec l’aide de la Gendarmerie royale, le Parquet de Nivelles va trainer treize syndicalistes, dont Roberto D’Orazio, Silvio Marra, Fernand Fyon et Jean-Pierre Gotto, devant le tribunal. Ce procès deviendra une saga judiciaire. Paradoxalement, sa médiatisation, permettra de faire perdurer et consolider « l’esprit de Clabecq ».

 

La fin de ce procès historique de l’histoire des luttes sociales et syndicales va constituer une victoire pour les inculpés : il se termine le 22 mai 2002 devant la cour d’appel de Bruxelles, par neuf acquittements et quatre suspensions du prononcé, malgré l’acharnement judiciaire du Parquet de Nivelles et de l’ex-gendarmerie, avec la complicité des autorités politiques wallonnes et le soutien du monde patronal. Après cette victoire - obtenue grâce à « l’esprit de Clabecq », le déterminisme d’avocats de gauche (Michel Graindorge, Jan Fremon, Jean-Marie Dermagne…), les syndicalistes de combat d’autres usines et entreprises de Belgique, des organisations et partis de la gauche radicale, des étudiants, des enseignants et des artistes solidaires -, le Mouvement pour le renouveau syndical va se battre pour la réintégration à la FGTB des délégués exclus, les ouvriers des Forges Roberto D’Orazio, Silvio Marra et Jean-Pierre Gotto. La direction syndicale, proche ou directement liée au PS, ne répondra jamais favorablement à cette revendication légitime.

 

RUPTURE AVEC LE PTB

Par la suite, les activités de ce mouvement syndical autonome inédit seront plus discrètes. Notamment après que son leader refusera les offres de « collaboration » que lui a faite, à plusieurs reprises, le Parti du Travail de Belgique. 

 

Après les élections européennes de 2004, Roberto D’Orazio déclare dans les colonnes du quotidien flamand Het Niewsblad du 27 juin 2004 qu’il a voté à cette occasion pour la liste déposée par les trotskistes du Mouvement pour une alternative socialiste (MAS, Parti socialiste de lutte, PLS, depuis). Une erreur qui ne lui sera jamais pardonnée par les maoïstes du PTB.

 

RIEN N’A CHANGÉ

Plus de vingt après les expériences dissidentes du MPDS et du MRS, à Bruxelles, rien n’a vraiment changé à l’intérieur de la Fédération générale du Travail de Belgique. Sa direction est aux ordres d’un duo autocratique, composé d’un membre historique du PS saint-gillois et d’une ancienne cheffe de cabinet de ministres PS et SP.a (aujourd’hui Vooruit), dont la psychorigidité gouverne l’esprit de management copié sur celui des entreprises américaines.

 

À l’heure où le syndicalisme est attaqué par la droite libérale, conduite de façon lepénisée par un Georges-Louis Bouchet très contre-offensif, et la justice de classe, qui a lourdement condamné à des peines de prison avec sursis dix-sept syndicalistes de la FGTB, dont Thierry Bodson, son président, il est plus que temps de mettre fin à des pratiques autocratiques internes qui ne peuvent que bénéficier aux ennemis externes du syndicat.



Manuel ABRAMOWICZ

 

 

Le syndicaliste Albert Faust, lors d’un colloque contre l’extrême droite organisé à Bruxelles en 1997 par le Centre communautaire laïc juif (CCLJ), avec Manuel Abramowicz du journal RésistanceS et Mateo Alaluf, professeur de sociologie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et ami de longue date de l’ex-président du SETCa de la FGTB. Photo : Archives personnelles M.AZ

 




 

QUI EST L’AUTEUR DE CET ARTICLE ?

Au milieu des années 1980, Manuel Abramowicz adhère à la FGTB pendant ses études en travail social à l’École ouvrière supérieure (EOS, cofondée par l’ancêtre du syndicat socialiste). Militant et membre de la direction bruxelloise du Syndicat étudiant – FGTB, il devient un de ses jeunes leaders durant les grèves nationales de 1986 dans les écoles contre les augmentations du stage d’attente des jeunes au chômage et la durée du service militaire pour les garçons. Il sera ensuite au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (aujourd’hui UNIA), organisme public dépendant du gouvernement fédéral, le cofondateur en 2003, puis en sera son principal délégué, de la première délégation syndicale, affiliée à la CGSP-Para. Manuel Abramowicz a aussi été formateur, avec le syndicaliste antifasciste flamand Hugo Gijsels, durant plusieurs années au centre Floreal de Blankenberge pour les Métallos FGTB. Le journal RésistanceS, de l’Observatoire belge de l’extrême droite, fondé en 1997 par Manuel Abramowicz fut lancé sur les presses de l’imprimerie du SETCa de la FGTB.

 

[L’article que vous venez de lire ci-dessus a été écrit ces 25 et 26 octobre 2022 sur la base des informations sur le Mouvement pour la démocratie syndicale (MPDS) et le Mouvement pour le renouveau syndical (MRS) publiées dans  Manuel Abramowicz : « La gauche radicale en Belgique francophone (1963-2004). Impact électoral, politique et social », mémoire pour l’obtention du titre de licencié en Politiques économiques et sociales, FOPES, Université catholique de Louvain, 2002. Plus d’informations sur cette étude de 400 pages : www.abramowicz.blogspot.com/2008/01/la-gauche-radicale-en-belgique.html].


 

À LIRE ÉGALEMENT SUR CE SUJET 

 

ARTICLES

 

-        « Albert Faust plaide la guerre idéologique », article de Marc Vanesse, in le quotidien Le Soir, Bruxelles, du 16 juillet 2002, p. 4. Disponible en ligne pour ses abonnés sur : www.lesoir.be/art/syndicat-le-secretaire-general-du-setca-de-bruxelles-po_t-20020716-Z0M2L7.html

 

-        « Albert Faust. Parcours d'un syndicaliste authentique », article de Manuel Abramowicz publié dans les versions du journal papier et du site numérique du mensuel La Gauche, Bruxelles, janvier 2004. Disponible sur :  www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=631:albert-faust-parcours-dun-syndicaliste-authentique&option=com_content&Itemid=53

 

-        « Il y a 20 ans, 70 000 personnes à Clabecq pour refuser la fatalité de la fermeture », article de Jonathan Lefèvre, in Solidaire, 31 Janvier 2017. Disponible en ligne sur : www.solidaire.org/articles/il-y-20-ans-70-000-personnes-clabecq-pour-refuser-la-fatalite-de-la-fermeture

 

LIVRES

 

-        Albert Faust le cœur au poing de Freddy De Pauw, éditions Labor, Bruxelles, 2005.

-        Je t'écris par-delà les nuages. Lettre ouverte à Albert Faust de Merry Hermanus, éditeur CEFAL, Liège, 2005.

 

-        Ceux de Clabecq, livre et album photo de Gilles Martin, éditions Aden, Bruxelles, 1997.

 

-        Debout ! L'esprit de Clabecq de Roberto D'Orazio, éditeur EPO, Anvers-Bruxelles, 1998.

 

-        La saga de Clabecq. Du naufrage au sauvetage, livre du curateur libéral des Forges Alain Zenner, éditions Luc Pire, collection « Grandes enquêtes », Bruxelles, 1998.    

 

-        Moi, Silvio de Clabecq, militant ouvrier de Françoise Thirionet avec Silvio Marra, éditions Agone, collection « Mémoires sociales », Marseille, 2020.

 


À VOIR SUR CE SUJET



Le souffle de Clabecq, reportage RTBF émission Faits divers, 1999, d'Agnès Lejeune et d'Éric Monami, 65 minutes, avec les interventions des syndicalistes Roberto D'Orazio, Silvio Marra et Fernand Fyon, le curateur Alain Zenner, les avocats Jan Fermon, Michel Graindorge et Jean-Marie Dermagne, mais aussi le professeur d'université Riccardo Petrella, le chercheur universitaire et ancien de la Ligue révolutionnaire des travailleurs Michel Capron, le président de la FGTB Michel Nollet ... Disponible sur : www.sonuma.be/archive/faits-divers-du-10021999  


Les anciens des forges de Clabecq réclament leur dû, 22 ans après la faillite, reportage de la télévision régionale brabançonne TV Com, 5 minutes 35 secondes, 26 avril 2019. Disponible sur : www.tvcom.be/video/info/economie/les-anciens-des-forges-de-clabecq-reclament-leur-du-22-ans-apres-la-faillite_23922_89.html

Ceux de Clabecq, film documentaire de la toulousaine Marine Rainjonneau, 42 minutes, 2021, Bruxelles. Entretien avec sa réalisatrice sur  www.facebook.com/watch/?v=391049139619283


DISQUE SUR CE SUJET

 

-        « Ceux de Clabecq », disque de lutte de Lorent Wanson. Trois titres : « Ceux de Clabecq », « Instrumental » et « Die vana Clabecq ». Chant et accordéon : Lorent Wanson. Violon : Catherine Graindorge. Un disque édité au bénéfice de l’asbl Défense des travailleurs des Forges de Clabecq. Clip « Ceux de Clabecq » diffusée en ligne, 3 minutes 40 secondes, sur Youtube le 5 juin 2010, 23 690 vues (à la date du 26 octobre 2022). Disponible sur : www.youtube.com/watch?v=HaIrLzbNhYA&t=1s

 

 



 

© Article et photos Archives Manuel Abramowicz n°2022-1026