A propos des élections législatives anticipées

Carte blanche publiée dans LE SOIR

vendredi 7 mai 2010

Quand la précipitation bafoue la démocratie

de Manuel Abramowicz, auteur et enseignant, Nicolas Ancion, écrivain , Jean-Marie Dermagne, avocat et enseignant, Alec de Vries, auteur et philosophe, Vincent Engel, écrivain, professeur à l'Université de Louvain et à l'Ihecs, Jean-Jacques Jespers, journaliste et enseignant, Ariane Le Fort, écrivaine, et Benoit Van der Meerschen, président de la Ligue des droits de l’Homme.


Un vieux slogan anarchiste, un peu vulgaire, il est vrai, dit : « Élections ! Piège à con ». Les élections prochaines en seront-elles l'illustration ?

Lors des dernières élections régionales en juin 2009, les diverses « petites listes » - alternatives aux « grands partis » et sans compter les scores des diverses listes d'extrême droite (plus de 90.000 voix en Wallonie) - avaient totalisé dans le collège francophone jusqu’à 5 % des suffrages exprimés. Ce résultat, certes relativement modeste, représentait pourtant plus de 120.000 électeurs, selon les chiffres officiels du Service public fédéral de l'Intérieur. A ces opposants aux partis politiques classiques, il faudrait encore rajouter les votes blancs et le nombre – bien que le vote soit obligatoire - des absentéistes, de plus en plus nombreux dans notre pays.

La décision de provoquer des élections anticipées, prévues maintenant pour le dimanche 13 juin prochain, ne permettra sans doute pas à la plupart de ces « petites listes » de se présenter aux électeurs. En effet, le temps imparti pour rassembler les 400 à 500 signatures requises pour une circonscription électorale, multipliées par le nombre de liste à chaque fois déposée dans chaque circonscription, les 5.000 signatures nécessaires pour déposer une liste pour le Sénat (soit environ un total de 15.000 signatures) et leur validation bureaucratique est ici de moins…d’une semaine.

Faute de temps et de moyens, ces « petites listes », ne bénéficiant d’aucun financement public, se retrouveront certainement dans l’impossibilité de se proposer aux suffrages de l’électeur. Le « jeu » démocratique s’en trouve donc biaisé.

Résultat immédiat : face à la situation actuelle, l'électeur ne pourra certainement que voter pour les partis bénéficiant déjà d’une représentation parlementaire. A savoir, côté francophone : le PS, le cdH, le MR et Ecolo. Soit, tous des partis de gouvernement. Ils seront (avec leurs équivalents néerlandophones, complétés d'une brochette nationaliste pure et dure, allant de la N-VA au VB en passant par la LDD) sans doute les seuls choix possibles. Le système politique actuel entretient dès lors sa propre conservation. C’est la loi des plus forts. Une loi pour le moins peu « fairplay » et peu démocratique !

Alors comment pouvoir émettre un vote d'opposition à la politique actuelle ?

Il existe une solution, si les partis démocratiques autorisent leurs parlementaires sortants à signer afin de permettre à ces « petites listes » de se présenter le 13 juin prochain. Les 120.000 électeurs de ces listes, rejoints par d'autres opposants aux politiques actuelles, pourront ainsi réitérer leur choix s’ils le souhaitent. Pour éviter à des listes « farfelues » de se présenter, et ne représentant quasi personne: les signatures de parlementaires du PS, du cdH, du MR et d'Ecolo ne seraient accordées qu'aux listes présentes aux précédentes élections régionales et européennes. Pour ces dernières, elles avaient en effet prouvé, dans un délai raisonnable, leur capacité de recueillir le nombre de signatures exigées par le code électoral.

Pourquoi les partis au pouvoir s'opposeraient-ils à la présence d'autres listes électorales ? La démocratie permet à toute structure un tant soit peu organisée de se présenter, à certaines conditions, aux élections. Tout faire pour éviter cela reviendrait à tronquer les règles simples de la démocratie. Cependant, il s'avère que les grands partis - pourtant dits « démocratiques » - refusent tous unanimement cette règle, y compris Ecolo qui disait vouloir faire de la politique autrement et qui était encore un groupuscule dans les années 1980. En démocratie, il faut accepter d'être critiqué, d'être sanctionné, voire de perdre les élections. Il semble que ni le PS et le cdH ni le MR et Ecolo (et idem du côté néerlandophone) n’acceptent ce principe de base. Pour eux, l'enjeu est simple : tout faire pour garder leur leadership dans leur bulle électorale. Quitte à empêcher l'émergence de « concurrents » sur un « marché électoral » décidément peu ouvert aux « nouveaux venus ».

Considérer les partis de gouvernement comme les seuls dignes de figurer sur les bulletins de vote le 13 juin prochain ne plaide pas vraiment contre l’abstention, voire l’absentéisme électoral. En effet, les électeurs déçus et opposés à leur bilan politique ne pourront sanctionner les parlementaires et gouvernants sortants en votant pour d’autres listes. Il n'est donc pas étonnant que certains aujourd'hui appellent à boycotter le prochain scrutin et que les votes blancs, nuls (si cela est encore possible), en sus des électeurs qui resteront chez eux, seront plus nombreux que lors des précédentes élections. En cette période de crise, cadenasser le système démocratique belge ne plaide certainement pas en faveur des institutions existantes. Laisser le monopole du vote contestataire à l'extrême droite est également un choix politique dangereux. Est-ce ainsi que va la démocratie à la belge ?

Manuel Abramowicz,
auteur et enseignant
Nicolas Ancion

écrivain
Jean-Marie Dermagne

avocat
Alec de Vries

auteur et philosophe
Vincent Engel

écrivain, professeur à l'Université de Louvain et à l'Ihecs
Jean-Jacques Jespers

journaliste et enseignant

Ariane Le Fort

écrivaine
Benoit Van der Meerschen

président de la Ligue des droits de l’Homme

Dessin de couverture du n° 5, Hiver 1998, de RésistanceS, journal fondé en 1997 à l'initiative de Manuel Abramowicz. Ce dessin illustrait le dossier de ce numéro : « Démocratie ! En Belgique ? »


Soutien PS à notre carte blanche !

Sur son blog, François Lemaire, jeune conseiller CPAS à Rixensart du PS, apporte son soutien à notre carte blanche. Il écrit notamment ceci :

« Bon, je suis socialiste et je militerai pour mon parti, mais cela ne m'empêche pas de dire ce que je pense. Bref, voici une carte blanche à laquelle je souscris totalement. Elle est parue dans Le Soir du Vendredi 7 mai 2010 »


http://francoislemaire.skynetblogs.be/


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Relire également sur ce blog :
Les "petites listes électorales" victimes de nombreuses inégalités... article publié dans Le Journal du Mardi du mois de mai 2009



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