La fin de l'identité nationale ?


Il devait être populaire, il s'est finalement soldé par un cruel flop pour le « régime sarkozyste ». Le débat sur l'identité nationale française a été sabordé, il y a plus d'un mois, par le « nouveau » gouvernement Fillon. Retour sur un échec présidentiel qui pourrait très prochainement être bénéfique à l'extrême droite en général, à Marine Le Pen en particulier.

Mis (remis) en route le 15 novembre 2010, le « nouveau » gouvernement Fillon, de tendance sarkozyste pure et dure, ne débattra désormais plus de l'« identité nationale ». Lancé en automne 2009, le débat qui devait développer ce thème déboucha sur un chambardement politique des plus polémiques. Politiciens, intellectuels, chroniqueurs et journalistes se querellèrent vivement à son propos. Jusqu'à l'implosion de ce débat en plein vol.

« La fierté d'être français ! »
C'est Nicolas Sarkozy en personne qui l'avait imposé, quelques temps après son élection à l'Élysée, sur la base d'une promesse de campagne électorale présidentielle. Campagne qui avait notamment pris comme public cible l'électorat national-frontiste. Pour le nouveau président, ce « grand débat » était considéré comme un impératif pour l'avenir de la France. La République devait rétablir son autorité, remettre ses valeurs et ses couleurs en avant. Faire face à sa désintégration annoncée par les prédicateurs les plus pessimistes et les paniqués professionnels sur le devenir d'une Europe multiculturelle, formée par ses « vieilles » et « nouvelles » populations la constituant.

L'homme de main pour cette mission salvatrice choisi par Sarko fut Eric Besson. Un choix basé sur une stratégie bien pensée : recycler le fonds de commerce lepéniste au profit de la droite via un transfuge du PS. Ex-royaliste et socialiste (tendance social-démocrate de droite), le Besson en question était encore juste avant son passage dans le camp sarkozyste, au moment de la campagne électorale pour la Présidentielle de 2007, l'un des plus proches collaborateurs de Ségolène Royal, la candidate du PS.

En octobre 2009, investi de son nouveau costume, Besson déclara – en guise de balise – à propos de ce débat de nécessité absolue (on se demande bien pourquoi ?): « Il faut réaffirmer les valeurs de l'identité nationale et la fierté d'être français ». Nouveau lieutenant fidèle et serviable de Sarkozy, ce ministre défendra bec et ongles « son » débat en s'entêtant face à la levée de bouclier que suscita son lancement et la raison même de son existence.

La vieille France de Maurras
Les critiques se multiplièrent tous azimuts, y compris venant de la droite UMPiste. Au lieu d'« unifier les Français » autour d'un projet commun, le débat de Besson-Sarkozy les divisera, les fractionnera en deux camps, une fois encore. « Être Français, c’est avoir une carte d’identité française. Et les droits qui vont avec. Point », riposta Jean-Luc Mélenchon, dirigeant charismatique de la gauche socialiste contestataire. Pour Vincent Peillon, cacique du PS : « ce qui la menace [l'identité nationale], c'est de fermer des classes [d'école], (...) c'est de prendre de l'argent aux classes moyennes et aux pauvres pour le donner aux plus riches ».

Le débat de Besson-Sarkozy sur l'identité nationale fut un « magnifique » Cheval de Troie pour labourer en « terre réac », chez les nantis et autres privilégiés du patrimoine national. Dans cette vieille France conservatrice, rétrograde et modernophobe adulée jadis par Charles Maurras, le théoricien du nationalisme autoritaire et monarchiste français, et cultivée depuis plus de trente ans par les saillies d'un Jean-Marie Le Pen en transe.

Face à la critique et son impopularité, le débat sarko-bessoniste allait bien vite trébucher et se casser pour finir la figure. La malchance sera au rendez-vous pour ses initiateurs. Avec un rapport de force défavorable, ce débat des plus électoralistes, dans le prolongement de la tentative sarkozyste (réussie) de récupérer en 2007 une partie de l'électorat lepénisé, allait alors revenir, comme un boomerang mal lancé, dans la tronche de ses deux lanceurs... Groggy, Sarko et Besson décidèrent sur la pointe des pieds d'enfin l'abandonner. Cet échec humiliant est sans doute aussi, pour une petite part, à la base du rejet de Nicolas Sarkozy par la majorité des Français : selon le dernier baromètre mensuel TNS Sofres Logica pour Le Figaro Magazine (daté du 2 décembre dernier), seuls 24 % lui sont encore favorables !

Belges pour l'identité nationale
Fallait-il en douter, en Belgique, une partie de l'ultra droite, y compris chez des membres du MR de Didier Reynders, s'était réjouie de l'ouverture de ce débat franco-français. Un intellectuel venant de la gauche (il débuta sa carrière dans le sillage du PS, comme fonctionnaire au port de Bruxelles) avait lui aussi émis des avis clairement favorables à la démarche identitaire sarkozyste. Il faut savoir que le même personnage était devenu, depuis 2009, une sorte de mercenaire propagandiste au service de la droite libérale radicale et populiste, visant dans sa cible essentiellement ledit « Islam réac ». Un intello ex-socialiste se voyant sans doute déjà comme une doublure belge d'Eric Besson.

Depuis son sabordage par le « nouveau » gouvernement français, assisterons-nous à la fin de l'identité nationale à la Sarko ? Tout le laisse supposer. Certains en seront satisfaits. Les opposants à ce débat sont effectivement les véritables gagnants de ce bras de fer enclenché avec l'hyperprésident et sa garde rapprochée. Une preuve même qu'en face d'un pouvoir autoritaire, il est toujours possible de marquer des points. Avec comme principale condition que la contre-offensive soit frontale, progressive, durable et multiple.

Sarko au service de Marine Le Pen ?
Néanmoins, il ne faut pas trop vite se gargariser de cette victoire sur le « sarko-populisme ». Parce que l'extrême droite n'est pas dupe du coup tordu que lui infligea Sarkozy avec sa tentative de réanimer à son profit l'identité nationale, une vieille ruse électoraliste du Front national. Après le remaniement gouvernemental, un dirigeant historique de la droite identitaire française écrira : «
En supprimant le ministère de l’immigration, créé à la suite d’une promesse de campagne en 2007, Sarkozy avoue que celui-ci n’était pour lui qu’un gadget destiné à piper les électeurs du Front National. Lequel gadget a bien fonctionné, au moins le temps, pour Sarkozy, de se faire élire. Ce qui était évidemment sa seule préoccupation » (1).

Le solde positif de ce débat, aux prochaines élections, pourrait désormais bénéficier en définitive non pas à l'UMP, « le » parti de Nicolas Sarkozy, mais bel et bien au Front national. Surtout si en janvier prochain, Marine Le Pen est élue à la présidence de ce parti, lors de son congrès historique qui refermera, sur l'Histoire contemporaine française, l'épisode de Jean-Marie Le Pen. La fille de l'homme qui déstabilisa la droite gaulliste et libérale, dans les années quatre-vingt, pourra tirer profit de la déroute actuelle de Sarkozy. Après le père, la fille fragilisera la droite politique en récupérant, entre autres, à son profit l'échec de celle-ci à propos de l'identité nationale. Plus stratège et pragmatique, Madame Le Pen va tout faire pour « casser la baraque » et s'imposer dans le paysage politico-médiatique d'outre-Quiévrain.

Dans ce cas de figure, les commentateurs politiques de demain pourront dire que Nicolas Sarkozy, Eric Besson et leurs (derniers) partisans - français et belges ! - auront été les meilleurs agents de propagande au service de l'extrême droite xénophobe, raciste, populiste et antidémocratique...

Manuel Abramowicz
Bruxelles, 22 décembre 2010

Note :
(1) Pierre Vial : «
L’immigration ? Quelle immigration ? », article publié le 17 novembre 2010 sur le site du mouvement d'extrême droite identitaire, qu'il préside, « Terre & Peuple ».