Le Guide des partis politiques en Belgique


© Doc. Archives Abramowicz
Le 5 juin dernier, Ludo Martens est décédé à l'âge de 65 ans. Il fut le cofondateur, le président et le théoricien du Parti du Travail de Belgique (PTB). Issu du mouvement étudiant marxiste-léniniste maoïste qui s'organisa après Mai 68, le PTB est aujourd'hui la plus importante formation électorale de la gauche radicale dans notre pays (une quinzaine de conseillers communaux). En 1995, j'avais interviewé Ludo Martens pour le journal des éditions EVO dans le cadre du Guide des partis politiques en Belgique. La revoici, complétée de NDLR (notes de la rédaction) et de deux photos.
Moustaches de fer, langue de bois ?
Pour mieux comprendre le dynamisme qui anime le Parti du Travail de Belgique (PTB), ses prises de positions parfois contradictoires, son système de fonctionnement qui inquiète ses adversaires, Inforlivres a rencontré Ludo Martens, le président du PTB. Un homme simple et sans moustache qui consacre sa vie aux luttes populaires, de la campagne flamande à la jungle congolaise. Le « camarade Ludo » pense que le communisme a un avenir sur les ruines du système capitaliste. Demain la révolution ?
Ludo Martens en 1969, lors du mouvement étudiant à l'université de Gand. L'année suivante, il participa à la création, dans le Limbourg lors de grèves sauvages dans des mines de charbon, à la création du mouvement marxiste-léniniste Alle Macht aan de Arbeiders (Amada , en français : Tout le pouvoir aux ouvriers), l'ancêtre du PTB © Photo Archives Solidaire

MANUEL ABRAMOWICZ : Dans les années '70, en pleine Guerre froide, votre parti a soutenu indirectement l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (Otan), en charge de la défense militaire de l'Europe de l'Ouest contre une hypothétique invasion par les armées du Bloc de l'Est, sous la direction de l'Union soviétique (URSS). Pourquoi ?
LUDO MARTENS : Notre organisation est née du courant marxistes-léniniste impulsé par la « Révolution culturelle » chinoise. L'expérience de la Chine nous a beaucoup aidé dans la création de notre parti en Belgique, dans son orientation idéologique et son effort pour s'implanter chez les ouvriers. Au début des années '70, les communistes chinois élaborent leur théorie des deux « superpuissances » : le « social-impérialisme soviétique » était devenu le danger le plus important.
Dans notre journal, un responsable de notre parti a apporté un certain soutien à l'Otan et aux partisans belges de l'organisation atlantique. Très vite, cette prise de position a suscité de vives discussions. Nous avons à nouveau pris conscience que le « danger de droite » dans notre mouvement était très important et que toute forme de soutien à l'Otan ou à la droite dans notre pays était absolument à exclure. A la fin des années '80, nous avons officiellement critiqué la conception chinoise des « deux superpuissances », désignant l'Union soviétique comme l'ennemi numéro un. Le parti communiste chinois a fait une erreur.
MANUEL ABRAMOWICZ : Plusieurs dizaines d'anciens militants du Parti communiste de Belgique ont rejoint vos rangs. Avez-vous pour objectif de remplacer ce parti et de devenir le fer de lance de l'opposition marxiste-révolutionnaire dans notre pays ?

LUDO MARTENS : Nous sommes dans la continuité de l'histoire du mouvement communiste. Nous nous réclamons de l'histoire de la IIIe Internationale dans le monde, et en Belgique, par conséquent, de l'histoire du Parti communiste belge. Mais nous avons conscience des déviations droitières qui eurent lieu au PCB, dès ses débuts. Ces erreurs aboutirent à la dégringolade de ce parti. Aujourd'hui, il a d'ailleurs de facto cessé d'exister.
Maintenant, nous essayons de renouer avec ses militants qui maintiennent leur inspirations communistes. Depuis quatre ou cinq ans, il y a un début de dialogue avec les différents courants idéologiques du communisme. Ce rapprochement était inimaginable avant la chute du mur de Berlin. Nous avons, par exemple, effectivement de très bons contacts avec des communistes du PCF (NDLR : le Parti communiste français).

MANUEL ABRAMOWICZ : Certains de vos détracteurs accusent le PTB d'être une « secte politique ».
LUDO MARTENS : Dans le journal du Vlaams Blok (NDLR : le nom de 1978 à 2004 de l'actuel Vlaams Belang, alors l'une des plus importantes formations d'extrême droite en Europe), vous pouvez lire régulièrement des diatribes contre la « secte du PTB ». Les gens qui ont besoin de calomnies pour mener le combat politique nous savons ce qu'ils veulent.Par rapport au contenu de cette accusation, je voudrais dire ceci : c'est vrai le PTB est très exigeant. Nos militants sont obligés de faire un effort intellectuel en étudiant l'histoire et les positions de l'adversaire par exemple. Cette formation militante est absente dans les autres organisations politiques en Belgique. Dans la société anticommuniste, il faut avoir une réflexion indépendante et mûre. Nous refusons les militants qui répètent aveuglément un discours creux. C'est donc tout-à-fait le contraire d'une secte. Autre exigeante du parti : nous obligeons nos militants de travailler dans les masses. Un communiste doit être là où le peuple vit ses problèmes et mène la lutte. Il doit écouter, analyser, comprendre, réfléchir et en tirer ce qui est valable dans une perspective révolutionnaire. Le militant PTB est là pour donner une forme politique aux problèmes des masses.

Chez nous, la discussion critique est autorisée. Après 1989 (NDLR : année d'un important mouvement de protestation en République populaire de Chine, symbolisé par l'occupation de la place Tien An Men à Pékin) et l'offensive anticommuniste, de larges débats très intenses eurent lieu durant plus de deux années. Tous les membres pouvaient y participer et y critiquer des positions idéologiques du parti. La démocratie doit être organisée pour que l'on puisse progresser en tant que mouvement révolutionnaire. Les débats internes - qui furent parfois très vifs - permirent l'unification de notre parti (NDLR : et le départ de plusieurs opposants à la « ligne officielle »).

MANUEL ABRAMOWICZ :
Pour faire de la politique. il faut de l'argent, beaucoup d'argent. Comment votre parti est-il financé ?
LUDO MARTENS : Au début des années '70, nous avons mis sur pied un système d'autofinancement : tous les cadres de l'organisation, tous les intellectuels vivent avec l'équivalent du salaire d'un ouvrier peu payé. En moyenne l'on rétribue au parti 2/3 de son salaire initial. Ces conditions particulières et draconiennes sont uniques et démontrent le sérieux et l'engagement de nos militants. Ce système permet aux intellectuels d'être logiques avec leur engagement communiste et de ne pas s'autoproclamer solidaire de la classe ouvrière tout en restant dans leur tour d'ivoire. Chez nous, ils défendent le prolétariat et connaissent ses exigences de survie financière. Ce système influence les travailleurs qui militent au PTB : ils savent que les cadres et les intellectuels sont conséquents avec ce qu'ils proclament.
Ceci est le système de base de notre financement. Le reste, nous vient lorsque nous organisons des campagnes de financement et grâce notamment au travail bénévole de nos camarades.

En 1979, Ludo Martens à la tribune du congrès de fondation du Parti du Travail de Belgique. Y était également présent, Laurent-Désiré Kabila, futur président du Congo en 1997 © Photo Archives Solidaire

MANUEL ABRAMOWICZ : Comment voyez-vous l'avenir du communisme ?

LUDO MARTENS : Aujourd'hui, après la « fin de l'histoire », de la fin de la lutte des classes et du communisme proclamées fièrement par la propagande bourgeoise suite à la disparition de l'URSS, cela paraît évident que le pouvoir politique est en train de liquider de façon assez systématique les droits démocratiques de ceux qui veulent lutter sérieusement contre le système capitaliste. Les temps sont dures pour les militants ouvriers.

Maintenant, on nous fait croire que seul le libéralisme a un avenir : en trois ou quatre ans, l'on a vu comment le monde s'est dégradé. La situation de notre planète est bien plus mauvaise qu'il y a dix ans. La Russie est devenue un mouroir Chez nous aussi, les patrons capitalistes réacquièrent leurs avantages perdus après la Guerre 40-45 au profit de la collectivité et par peur des partisans armés. Les conquêtes sociales d'hier sont pour le moment menacées. Mais la propagande ne peut pas empêcher les gens de penser. La conscience que le capitalisme ne peut plus garantir un avenir fait tache d'huile dans le tiers monde, mais aussi ici. Les mensonges de la bourgeoisie ne prennent plus et son système est remis en question par des fractions de la population de plus en plus nombreuses. C'est pour cela, qu'il n'y a pas de doute que le mouvement communiste va reprendre sur de nouvelles bases...

[Interview de Ludo Martens, président-fondateur du PTB, réalisée en septembre 1995 par Manuel Abramowicz pour Inforlivres, « le journal qui vous fait lire ce que la télé ne vous montre pas », proposé par les éditions bruxelloises EVO, aujourd'hui Couleur livres. Cette interview fut publiée dans le numéro 1, daté du mois de novembre 1995, d'Inforlivres, dans la série « Le Guide des partis politiques en Belgique » et en marge d'un article sur l'histoire et l'actualité du Parti du Travail de Belgique. Republiée le 9 juin 2011 sur le blog de Manuel Abramowicz, suite au décès le 5 juin 2011 de Ludo Martens].