Dieudonné se trompe de colère



Carte blanche parue dans
LA LIBRE BELGIQUE
du 26 mars 2009





Dieudonné n'aime pas les Juifs, il en a même la haine. Il l'exprime et transpire clairement celle-ci depuis plusieurs années. Il est devenu un artisan volontaire du «nouvel» antisémitisme.

Par Manuel Abramowicz
Coordinateur de RésistanceS.be

L'humoriste français Dieudonné ne cesse de susciter les scandales depuis 2003. D'une critique humoristique, certes acide, du sionisme, il s'est désormais converti à un credo qui ne peut que renforcer le racisme ciblant les Juifs. Généralisant et stéréotypant les «légendes urbaines» sur ces derniers («Ils contrôlent les médias», «le monde politique est sous l'influence des Juifs», «les Juifs sont tous riches», «il n'y en a que pour leur génocide», «on parle toujours du drame des Juifs»...), Dieudonné est devenu un artisan volontaire du «nouvel» antisémitisme. Il le sait fort bien et son rictus professionnel ne pourra jamais nous en faire douter.

Dieudonné n'aime pas les Juifs, il en a même la haine. Il l'exprime et transpire clairement celle-ci depuis plusieurs années. Ce n'est donc pas un hasard si désormais ses nouveaux «potes» sont de célèbres experts dans le domaine : le chef de l'extrême droite française Jean-Marie Le Pen et le leader international du négationnisme Robert Faurisson. En outre, dans la «galaxie Dieudonné», se coalise maintenant une brochette d'«éminents» individus qui sont eux aussi atteints de la maladie antisémite. Dans l'entourage immédiat de l'humoriste français – qui est engagé en politique depuis le milieu des années 1990 – il n'est plus rare de croiser un ancien responsable du Groupe Union Défense, un mouvement néonazi, antisémite et raciste anti-immigrés, mais également des militants nationalistes arabes et panafricains développant une commune inversion à l'égard des «sionistes». «Sionistes», un mot codé ici pour désigner directement «les Juifs»... Les amis de Dieudonné se conjuguent au pluriel, mais ils sont de plus en plus situés à l'extrême droite de la scène politique. Seuls quelques rares amis de l'époque – quand Dieudonné nous faisait tous ou en partie rire – sont restés proches de celui-ci.

Dieudonné n'est pas un con ! Il sait très bien ce qu'il dit et ce qu'il fait. Tout est calculé, à la moindre formule près. Tout est planifié. Sorties scandaleuses après sorties médiatisées. Nous avons affaire ici à un spécialiste de la mise en scène. À un pro des relations publiques et de la communication de masse. Dieudonné sait comment «jouer» avec les médias. Il est totalement conscient que la provocation est un excellent mode de communication pour que l'on parle de lui. Abondamment, pour faire plaisir à son égo.



Son combat pour la cause des Noirs ? Engagé pour la reconnaissance de l'oppression occidentale qu’ont subie – durant plusieurs siècles – le continent africain et ses populations (par l'esclavagisme, des massacres à grande échelle et le colonialisme), Dieudonné se positionne comme l'unique leader dans le domaine. Ce qui est entièrement faux. En France, aux Etats-Unis et même en Belgique, il existe des organisations actives dans ce combat. En dénonçant le souvenir du génocide des Juifs comme étant une
«pornographie mémorielle» et en expliquant l'inégalité supposée entre celui-ci et les génocides des Noirs, Dieudonné démontre sa méconnaissance dans ces sujets. Le judéocide a assassiné plus de six millions de bébés, d'enfants, de femmes, d'hommes et de vieilles personnes, sur le continent européen. Il s'agit d'un crime visant à tuer tous les Juifs, commis par un pays industrialisé, dit «civilisé», à partir de la plupart des pays de l'Europe et avec la complicité de milliers de fonctionnaires français, belges, hollandais.... Sa reconnaissance en Europe a été possible parce qu'il fut le paroxysme de la Deuxième Guerre mondiale, et il a démontré que des Européens pouvaient aussi être des barbares des Temps modernes.

L'esclavagisme, le colonialisme et les massacres commis jadis, dont les artisans ont été des Etats européens avancés, restent certes des tabous. Leur souvenir est aussi peu entretenu parce que les populations africaines – ou leurs organisations représentatives –n'ont que très rarement mis en avant une revendication offensive et entièrement légitime pour la reconnaissance de ce fait historique : l'oppression des Africains par les Européens. Il est donc temps que ce travail de mémoire se fasse. L'idéal serait que des mouvements d'Africains ou d'origine africaine, vivant en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud (où se trouvent des millions de descendants d'esclaves) s'organisent concrètement pour revendiquer la reconnaissance et la réparation des crimes commis par l'esclavagisme et le colonialisme, sans oublier ceux du néocolonialisme.

Pour Jean Ziegler, dans son dernier livre (à lire sans plus attendre), «La haine de l'Occident» (éditions Albin Michel), pour briser le clash entre l'Europe et le reste du monde, il faut absolument se mettre à «la reconstitution mémorielle, par la reconnaissance de l'identité, par la prise de conscience des droits humains, par la construction nationale dans les pays du Sud». Pour le sociologue suisse altermondialiste, il est ainsi impératif «pour les peuples, de s'attacher à la récupération de leur identité et à la reconnaissance de leur mémoire historique».

Vu sous cet angle, les élucubrations de Dieudonné deviennent les éruptions d'un humoriste atteint de la maladie antijuive se soignant à l'extrême droite. Dieudonné est devenu en fait «un raciste qui se trompe de colère», pour reprendre la juste phrase de Léopold Sédar Senghor (1906-2001), poète, écrivain et homme politique sénégalais.

Manuel Abramowicz
Coordinateur de RésistanceS.be


Carte blanche parue dans
LA LIBRE BELGIQUE
du 26 mars 2009


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REACTUALISATION de cette page le 8 octobre 2010: Dieudonné peut-il encore s'exprimer ?

Voir aussi le dossier de RésistanceS.be sur ce sujet